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Saint Cyprien
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
TRAITÉ CONTRE DÉMÉTRIEN.
NOTICE HISTORIQUESurSAINT CYPRIENEvêque de Carthage, docteur et martyr.
Saint Cyprien naquit à Carthage vers le commencement du iiie siècle. Sa famille tenait dans cette grande ville un rang considérable. Les soins donnés à son éducation, les heureuses dispositions qui ne tardèrent pas à se manifester en lui, ses espérances de fortune et de gloire, dirigèrent ses premiers pas vers la carrière du barreau. Elevé au sein de l’idolâtrie, le jeune Cyprien en eut bientôt pris toutes les mœurs. Avec des maximes et des exemples tels qu’en donnait le paganisme, les vertus ne pouvaient être que des vices déguisés, et les vices que des actes de religion. Ses talents et ses succès fixèrent sur sa personne les suffrages de toute la ville, qui voulut l’avoir pour professeur d’éloquence. C’était alors une dignité autant qu’un emploi. Cyprien s’y fit la plus grande réputation. Il y avait alors à Carthage un saint prêtre nommé Cecilius. Cyprien eut l’occasion de le connaître, et se lia d’une étroite amitié avec lui. Frappé des discours qu’il lui entendait tenir sur l’excellence de la religion chrétienne, il commença à goûter les vérités divines et la sainteté de la morale évangélique. Mais ce n’est qu’après avoir balancé longtemps qu’il se convertit au christianisme. Son cœur avait été trop fortement pris par les vanités du siècle, pour se rendre sans combat. A la fin, la grâce l’emporta. Il reçut le baptême des mains de Cecilius, dont, par reconnaissance pour un aussi précieux bienfait, il voulut joindre le nom au sien, se faisant appeler Thascius Coecilianus Cyprianus, comme il est porté dans les actes de son martyre. De ce moment il renonça à toutes les habitudes de sa vie passée, et se consacra sans réserve au service du divin Maître à qui il devait sa régénération spirituelle. Le premier acte de sa nouvelle profession de foi fut de se dévouer à la chasteté et de vendre ses biens pour en distribuer l’argent aux pauvres. Un tel changement de vie attira sur lui tous les regards. Il
n’était encore que néophyte, lorsque le vœu unanime des chrétiens de
Carthage l’appela au sacerdoce, et bientôt à l’épiscopat. Sa modestie
opposa d’abord de la résistance à ces empressements; mais sa maison ayant
été environnée par les fidèles, il fallut céder. Dès lors il était facile
de pressentir que ce n’était pas seulement un évêque, mais un martyr que
Dieu donnait à son Église dans la personne de Cyprien. Tous les
évêques de la province reconnurent dans son élection le jugement de Dieu.
Il fut sacré en 248. Toutefois on a peine à concevoir comment son
ordination put trouver des contradicteurs. C’est là pourtant un fait
attesté par les aveux les plus précis du saint évêque. Il s’en plaint dans
plusieurs de ses lettres. Il y qualifie d’attentat sacrilège la
résistance opiniâtre que mirent à le reconnaître quelques prêtres, au
nombre de cinq, égarés par un prétendu zèle pour la discipline, qu’ils
supposaient avoir été violée à cette occasion. Saint Cyprien ne se vengea
d’eux que par le silence et le pardon des injures. Cette persécution
domestique eut des suites déplorables. Les actes les plus célèbres de son administration furent la conduite qu’il tint à l’égard de ceux qui avaient failli durant la persécution, et la question du baptême des hérétiques. L’une et l’autre partagèrent l’Église d’Afrique. Si la foi chrétienne avait trouvé d’intrépides confesseurs dans les diverses classes de la société, tous les fidèles n’avaient pas manifesté le même courage. Il y en avait un grand nombre qui, pour échapper à la persécution, avaient obtenu, à prix d’argent, des magistrats la faveur de n’être pas recherchés; d’autres, plus coupables, sacrifièrent aux idoles pour sauver leur vie. Au milieu de leur défection, la voix de Cyprien n’avait pas laissé de retentir au fond de leur conscience. La plupart gémissaient de la faute qu’ils avaient commise, et, quand le feu de la persécution se fut amorti, demandaient avec instance de rentrer au sein de l’Église. Mais ses lois, alors dans toute leur vigueur, ne permettaient pas que cette grâce leur fût accordée avant d’être méritée par une longue et sévère pénitence. Pour s’en affranchir, plusieurs eurent recours aux confesseurs, et, soit par prières et par importunités, soit par surprise, ils en obtinrent des billets de réconciliation. C’était un désordre réel qui ne pouvait manquer d’exciter le zèle du sacerdoce chrétien. Cyprien, entre autres, signala son respect pour la discipline et la sagesse de son administration par un admirable tempérament de douceur et de fermeté, qui a fourni à tous les siècles chrétiens la règle la plus sûre de la conduite à tenir en semblables circonstances. Quant à l’autre question, celle du baptême des hérétiques, où les esprits se trouvèrent encore plus violemment divisés, il est aujourd’hui indubitable que l’opinion de saint Cyprien n’était pas la vraie, puisque l’Église l’a repoussée, mais alors elle était douteuse, et que n’étant pas clairement décidée par la tradition apostolique, chaque évêque avait le droit de la soutenir ou de la combattre, en renvoyant sa solution au jugement de Dieu, pourvu qu’il conservât dans sas procédés et dans son langage l’esprit de modération et de charité. Or, tel est l’éloge que saint Augustin donne ici à la conduite de saint Cyprien. Ce grand homme, dit-il, épris d’amour pour la beauté de la maison de Dieu, nous donne, dans cette occasion, sujet de considérer plusieurs choses: la première, de ce qu’il n’a point dissimulé ses sentiment, puis de ce qu’il l’a déclaré avec tant de douceur et de charité, sans hauteur, sans emportement, ne contraignant personne à obéir à son sentiment, s’en référant à la décision des conciles, et méritant par sa fidélité inviolable à conserver le lien de la paix et de l’unité, l’honneur du martyre, qui allait bientôt expier son erreur. Le vœu le plus ardent du saint évêque était de s’associer aux dangers de ses frères. Quoique la persécution, suspendue plutôt qu’apaisée par la mort de Dèce et de ses successeurs. Gallus et Emilien, continuât à sévir dans l’Italie, et menaçât toujours l’Afrique, Cyprien résolut de quitter le lieu de sa retraite, et de revenir au sein de son Église. Carthage commençait à peine à jouir de la présence de son évêque, une épidémie des plus meurtrières vint tout à coup désoler cette ville, et se répandit dans toutes les provinces de l’Empire. Saint Cyprien nous en a laissé une éloquente description dans son Traité de la mortalité; et un autre contemporain trace ainsi la peinture des ravages qu’elle exerça : Survint, dit Pontius, dans la Vie de saint Cyprien, une peste furieuse, qui, chaque jour, emportait une multitude de victimes. La consternation était générale; on s’enfuyait de tous côtés, en abandonnant impitoyablement ses proches; l’on ne rencontrait partout que des cadavres jetés hors des maisons, amoncelés les uns sur les autres, et des mourants implorant en vain la compassion de ceux qui pouvaient encore les entendre, et qui n’en avaient pas le courage. Certes il en fallait, selon l’expression de saint Cyprien, pour demeurer debout au milieu des ruines du genre humain. Cette cruelle épreuve lui fournit une occasion nouvelle de faire éclater sa charité pastorale. Son premier soin fut d’assembler les fidèles, pour les exhorter, dans les termes les plus touchants, à remplir à l’égard les uns des autres les devoirs de l’humanité et de religion, sans distinction de chrétien et d’infidèle, d’ami et d’ennemi; à vaincre le mal par le bien, à l’imitation du Dieu qui fait luire son soleil sur les méchants comme sur les bons; à profiter de ce fléau, soit pour la réforme, soit pour le perfectionnement des mœurs. Telle fut, poursuit son historien, la chaleur de ses exhortations, qu’il anima en quelque sorte de son esprit tous les membres de son troupeau. Ils se partagèrent le soulagement des pestiférés. Ceux qui ne pouvaient les assister de leur argent, parce qu’ils étaient pauvres, faisaient plus encore ; ils les assistaient de leurs personnes. Ces soins embrassaient également les païens. Mais comment, sous un maître tel que Cyprien, ne se serait-on pas empressé de participer à de telles œuvres, pour se rendre agréable à Dieu notre Père, à Jésus notre charitable Sauveur, et pour imiter l’exemple d’un si excellent évêque ? Saint Cyprien sut mettre à profit les apparences de paix que donnèrent les premières années du règne d’Aurélien. Le schisme et l’hérésie qui en est la compagne ordinaire désolaient l’Italie; leurs ravages se portaient jusque dans les Gaules et les Espagnes, et troublaient l’Église d’Afrique elle-même. Un évêque tel que saint Cyprien ne pouvait être spectateur indifférent d’un aussi grand mal. Par la vigueur de ses mesures et l’autorité de sa doctrine, il confond l’erreur et ses partisans, affronte les haines et les calomnies, dissipe les préventions, raffermit les consciences ébranlées, assure l’élection canonique du pape saint Corneille, en déjouant les criminelles intrigues de l’ambition et de la malveillance, fait ressortir avec éclat le dogme de l’unité catholique. Âme des conciles, oracle des évêques, Cyprien est au iiie siècle ce que saint Augustin devait être dans le sien. La paix ne fut pas de longue durée. Averti par de secrètes relations de la nouvelle tempête qui allait s’élever, saint Cyprien aurait pu fuir encore. Ses amis lui en donnaient le conseil. Personne n’ignorait dans Carthage sur quelle tête porteraient les premiers coups de l’orage. Le saint évêque s’abandonna à la Providence. Les lettres de l’empereur commandaient la plus rigoureuse enquête contre les chrétiens. Cyprien fut arrêté, Conduit devant le proconsul d’Afrique, qui se nominait Paternus: « J’ai ordre, lui dit celui-ci, de faire observer la religion de l’Etat dans toute l’étendue de mon gouvernement. Qui êtes-vous? — Cyprien. Je suis chrétien et évêque. Je ne connais et n’adore d’autre Dieu que celui qui a créé le ciel, la terre et toute la nature. C’est ce Dieu seul véritable que les chrétiens adorent, et qu’ils ne cessent d’invoquer tant pour eux-mêmes que pour le salut des empereurs et la sûreté de l’Etat. — Le proconsul. Vous persistez donc à vous refuser aux ordres que je dois faire exécuter? — Cyprien. Ce n’est pas lorsqu’on a eu le bonheur de connaître notre Dieu qu’il devient possible de renoncer à lui. — Le Gouverneur. Il dépend de moi de vous envoyer en exil. Cyprien. Je suis prêt à m’y rendre. — Le proconsul. Mes instructions veulent aussi que je sache de vous quels sont les prêtres chrétiens demeurant à Carthage. — Cyprien. Vos propres lois condamnent les délateurs, et notre religion nous défend de nous dénoncer nous-mêmes. » Le proconsul prononça la sentence qui l’exilait à Curube, petite ville située sur les bords de la mer, à douze lieues de Carthage. Sa proximité de la capitale fournissait aisément au saint évêque les moyens de correspondre avec les fidèles. On ne l’y laissa pas longtemps. Paternus fut rappelé et remplacé par Galère-Maxime. Le nouveau proconsul, exécuteur plus docile encore que le précédent des volontés du maître, s’empressa de mander à Cyprien qu’il eût à se rendre à Carthage pour y attendre ce qui serait décidé sur son sort. Maxime se proposait d’aller à Utique, et d’y faire traduire son prisonnier, pour donner au peuple de cette ville le spectacle de son martyre. Peut-être redoutait-il l’impression que pourrait faire sur les habitants de Carthage le souvenir de tant de vertus et de bienfaits. Cyprien demandait intérieurement que son sacrifie fût consommé sous les yeux de son peuple. Il devait être exaucé. « C’est dans sa propre ville, écrivait-il, qu’un évêque doit désirer de confesser le Seigneur, afin que tout son peuple s’unisse en quelque sorte à la confession de son pasteur Ce que l’évêque dit alors, tout son peuple semble le dire avec lui. Maxime, de retour à Carthage, fit appeler Cyprien, et le reçut dans la maison de campagne nommée Sexti, dans un des faubourgs, où il faisait sa résidence. « L’empereur, lui dit-il, exige que vous sacrifiiez à nos dieux. — Cela m’est impossible, je suis chrétien. Songez-y sérieusement, il y va de la vie. — Exécutez les ordres qui vous ont été donnés; pour moi, c’est à mon Dieu que je dois obéir. Le proconsul, voyant que rien n’ébranlait la constance du saint évêque, rendit cette sentence: « Nous ordonnons que Thascius Cyprien ait la tête tranchée. » Cyprien répondit: « Béni soit le Seigneur, qui va me délivrer de ce corps de mort. » De la maison du proconsul, il fut conduit au lieu de l’exécution. La plupart des fidèles étaient accourus pour le voir encore une dernière fois. Il se dépouilla lui-même de son manteau, se banda les yeux, et commanda qu’il fût donné vingt-cinq écus d’or à l’exécuteur. S’étant mis à genoux, après avoir adressé à Dieu une courte prière, il reçut la couronne du martyre. Les chrétiens présents à son supplice recueillirent son sang, et sur la fin du jour portèrent son corps dans un terrain appartenant à un officier nommé Macrobe Candide, sur le chemin d’Apelle, où il fut inhumé avec toute la pompe que la circonstance pouvait permettre. Il mourut le 24 septembre 258; sa fête se célèbre le 16 de ce mois. Son pieux historien termine par ces paroles le récit qu’il nous a laissé d’une vie si pleine de bonnes œuvres: « Après avoir été un modèle de vertu évangélique, il fut, depuis les apôtres, le premier évêque d’Afrique dont le sang ait coulé pour la cause de Jésus-Christ. Ce n’est pas qu’il n’y ait eu avant lui de très saints pasteurs à Carthage, mais aucun d’eux n’avait souffert le martyre. Que dirai-je maintenant et de la joie que je ressens de son triomphe, et de la douleur que me cause sa perte? Je me sens comme partagé entre ces impressions contraires. Toutefois, quel que soit le bonheur que me donne la pensée de la gloire à laquelle il a été appelé, il est un sentiment qui l’emporte sur celui- là, c’est le regret de ne pas avoir partagé son sort. »
Au-delà de cette notice historique évidemment très orientée, « saint Cyprien est l’auteur d’une correspondance très intéressante pour l’histoire et le droit ecclésiastiques. La forme et le style de ses ouvrages, clairs et simples, lui assurent une postérité plus grande qu’à son « maître » Tertullien. Il reste le modèle des écrivains ecclésiastiques latins jusqu’à Augustin. Son Ad Donatum donne une image magistrale de la décadence des mœurs dans la société romaine de son temps. » (extrait du Dict. des auteurs latins & grecs de l’Antiquité au Moyen Âge, éd. Brépols, 1991.)
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LIBER AD DEMETRIANUM. |
TRAITÉ CONTRE DÉMÉTRIEN.[1] |
I. Oblatrantem te et adversus Deum, qui unus et verus est, ore sacrilego et verbis impiis obstrepentem frequenter, Demetriane, contempseram, verecundius ac melius existimans errantis imperitiam silentio spernere, quam loquendo dementis insaniam provocare. Nec hoc sine magisterii divini auctoritate faciebam, cum scriptum sit: In aures imprudentis noli quicquam dicere, ne, quando audierit, irrideat sensatos sermones tuos. Et iterum: Noli respondere imprudenti ad imprudentiam ejus, ne similis fias illi. Et sanctum quoque jubeamur intra conscientiam nostram tenere, nec inculcandum porcis et canibus exponere, loquente Domino et dicente: Ne dederitis sanctum canibus, neque miseritis margaritas vestras ante porcos, ne inculcent eas pedibus, et conversi elidant vos. Nam, cum ad me sæpe, studio magis contradicendi quam voto discendi, venires, et, clamosis vocibus personans, malles tua impudenter ingerere quam nostra patienter audire, ineptum videbatur congredi tecum, quando facilius esset et levius turbulenti maris concitos fluctus clamoribus retundere quam tuam rabiem tractatibus coercere. Certe et labor irritus et nullus effectus, offerre lumen cæco, sermonem surdo, sapientiam bruto; cum nec sentire brutus possit, nec cæcus lumen admittere, nec surdus audire.
II. Hæc considerans, sæpe conticui, et impatientem patientia vici, cum nec docere indocilem possem, nec impium religione comprimere, nec furentem lenitate cohibere. Sed enim, cum dicas plurimos conqueri quod bella crebrius surgant, quod lues, quod fames sæviant, quodque imbres et pluvias serena longa suspendant nobis imputari, tacere ultra non oportet; ne jam non verecundiæ sed diffidentiæ esse incipiat quod tacemus, et dum criminationes falsas contemnimus refutare, videamur crimen agnoscere. Respondeo igitur et tibi, Demetriane, pariter et cæteris quos tu forsitan concitasti, et adversum nos odia tuis maledicis vocibus seminando, comites tibi plures radicis atque originis tuæ pullulatione fecisti; quos tamen sermonis nostri admittere credo rationem: nam qui ad malum motus est mendacio fallente, multo magis ad bonum movebitur veritate cogente.
III. Dixisti per nos fieri et quod nobis debeant imputari omnia ista quibus nunc mundus quatitur et urgetur, quod dii vestri a nobis non colantur. Qua in parte, quiaignarus divinæ cognitionis et veritatis alienus es, illud primo in loco scire debes, senuisse jam mundum, non illis viribus stare quibus prius steterat, nec vigore et robore eo valere quo antea prævalebat. Hoc etiam, nobis tacentibus et nulla de Scripturis sanctis prædicationibusque divinis documenta promentibus, mundus ipse jam loquitur et occasum sui rerum labentium probatione testatur. Non hyeme nutriendis seminibus tanta imbrium copia est, non frugibus æstate torrendis solis tantaflagrantia est, nec sic vernante temperie sata læta sunt, nec adeo arboreis foetibus autumna foecunda sunt. Minus de effossis et fatigatis montibus eruuntur marmorum crustæ, minus argenti et auri opes suggerunt exhausta jam metalla, et pauperes venæ breviantur in dies singulos et decrescunt, deficit in arvis agricola, in mari nauta, miles in castris, innocentia in foro, justitia in judicio, in amicitiis concordia, in artibus peritia, in moribus disciplina. Putasne tantam posse substantiam rei senescentis existere quantum prius potuit novellu adhuc et vegeta juventa pollere? Minuatur necesse est quicquid fine jam proximo in occidua et extrema devergit. Sic sol in occasu suo radios minus claro et igneo splendore jaculatur; sic, declinante jam cursu, exoletis cornibus luna tenuatur, et arbor quæ fuerat ante viridis et fertilis, arescentibus ramis fit postmodum sterili senectute deformis; et fons qui, exundantibus prius venis, largiter profluebat, senectute deficiens, vix modico sudore distillat. Hæc sententia mundo data est, hæc Dei lex est, ut omnia orta occidant et aucta senescant, et infirmentur fortia, et magna minuantur, et cum infirmata et diminuta fuerint, finiantur.
IV. Christianis imputas quod minuantur singula, mundo senescente. Quid si et senes imputent Christianis quod minus valeant in senectute, quod non perinde ut prius vigeant auditu aurium, cursu pedum, oculorum acie, virium robore, succo viscerum, mole membrorum; et cum olim ultra octingentos et nongentos annos vita hominum longæva procederet, vix nunc possit ad centenarium numerum perveniri? Canos videmus in pueris, capilli deficiunt antequam crescant; nec ætas in senectute desinit, sed incipit a senectute. Sic in ortu adhuc suo ad finem nativitas properat; sic quodcumque nunc nascitur, mundi ipsius senectute degenerat: ut nemo mirari debeat singula in mundo coepisse deficere, quando totus ipse jam mundus in defectione sit et in fine.
V. Quod autem crebrius bella continuant, quod sterilitas et fames sollicitudinem cumulant, quod, sævientibus morbis, valetudo frangitur, quod humanum genus luis populatione vastatur, et hoc scias esse prædictum, in novissimis temporibus multiplicari mala et adversa variari, et appropinquante jam judicii die magis ac magis in plagas generis humani censuram Dei indignantis accendi. Non enim, sicut tua falsa querimonia et imperitia veritatis ignara jactat et clamitat, ista accidunt quod dii vestri a nobis non colantur, sed quod a vobis non colatur Deus. Nam, cum ipse sit mundi dominus et rector, et cuncta arbitrio ejus et nutu gerantur, nec quicquam fieri possit nisi quod aut fecerit aut fieri ipse permiserit, utique quando ea fiunt quæ iram Dei indignantis ostendunt, non propter nos fiunt, a quibus Deus colitur, sed delictis et meritis vestris irrogantur, a quibus Deus omnino nec quæritur nec timetur, nec, relictis vanis superstitionibus, religio vera cognoscitur, ut, qui Deus unus est omnibus, unus colatur ab omnibus rogetur.
VI. Ipsum denique audi loquentem, ipsum voce divina instruentem nos pariter ac monentem: Dominum Deum tuum adorabis, inquit, et illi soli servies. Et iterum: Non erunt tibi dii alii absque me. Et iterum: Nolite ambulare post deos alienos ut serviatis eis, et ne adoraveritis eos; et ne incitetisme in operibus manuum vestrarum ad disperdendos vos. Propheta item Spiritu sancto plenus contestatur et denuntiat iram Dei dicens: Hæc dicit Dominus omnipotens: Eo quod domus mea deserta est, vos autem sectamini unus quisque in domum suam, propterea abstinebit coelum a rore, et terra subtrahet procreationes suas, et inducam gladium super terram et super frumentum et super vinum et super oleum, et super homines et super pecora, et super per omnes labores manuum eorum. Item Propheta alius repetit et dicit: Et pluam super unam civitatem, et super aliam non pluam. Pars una compluetur, et pars super quam non pluero arefiet. Et congregabuntur duæ et tres civitates in unam civitatem potandæ aquæ causa, nec satiabuntur; et non convertimini ad me, dicit Dominus. VII. Indignatur ecce Dominus et irascitur, et quod ad eum non convertamini comminatur; et tu miraris aut quereris, in hac obstinatione et contemptu vestro, si rara desuper pluvia descendat, si terra situ pulveris squaleat, si vix jejunas et pallidas herbas sterilis gleba producat, si vineam debilitet grando cædens, si oleam detruncet turbo subvertens, si fontem siccitas statuat, ærem pestilens aura corrumpat, hominem morbida valetudo consumat, cum omnia ista peccatis provocantibus veniant, et plus exacerbeturDeus quando nihil talia et tanta proficiant? Fieri enim ista vel ad disciplinam contumacium vel ad poenam malorum declarat in Scripturis sanctis idem Deus dicens: Sine causa percussi filios vestros, disciplinam non exceperunt. Et Propheta devotus ac dicatus Deo ad hæc eadem respondet et dicit: Verberasti eos, nec doluerunt; flagellasti eos, nec voluerunt accipere disciplinam. Ecce irrogantur divinitus plagæ, et nullus Dei metus est: ecce verbera desuper et flagella non desunt, et trepidatio nulla, nulla formido est. Quid si non intercederet rebus humanis vel ista censura, quanto adhuc major in hominibus esset audacia, facinorum impunitate secura?
VIII. Quereris quod minus nunc tibi uberes fontes et auræ salubres et frequens pluvia et fertilis terra obsequium præbeant, quod non ita utilitatibus tuis et voluptatibus elementa deserviant. Tu enim Deo servis, per quem tibi cuncta deserviunt; famularis illi cujus nutu tibi universa famulantur. Ipse de servo tuo exigis servitutem, et homo hominem parere tibi et obedire compellis. Et cum sit vobis eadem sors nascendi, conditio una moriendi, corporum materia consimilis, animarum ratio communis, æquali jure et pari lege vel veniatur in istum mundum vel de mundo postmodum recedatur, tamen nisi tibi pro arbitrio tuo serviatur, nisi ad voluntatis obsequium pareatur, imperiosus et nimius servitutis exactor, flagellas, verberas, fame, siti, nuditate, ferro etiam frequenter et carcere affligis et crucias; et non agnoscis, miser, Dominum Deum tuum, cum sic exerceas ipse dominatum?
IX. Merito ergo incursantibus plagis non desunt Dei flagella nec verbera: quæ cum nihil istic promoveant, nec ad Deum singulos tanto cladium terrore convertant, manet postmodum carcer æternus et jugis flamma et poena perpetua. Nec audietur illic rogantium gemitus, quia nec hic Dei indignantis terror auditus est, qui per Prophetam clamat et dicit: Audite sermonem Domini, filii Israël, quia judicium est Domini adversus incolas terræ, eo quod neque misericordia, neque veritas, neque agnitio Deisit super terram, sed execratio, et mendacium, et cædes, et furtum, et adulterium diffusum est super terram; sanguinem sanguini supermiscent. Id circo terra lugebit cum universis incolis suis, cum bestiis agri, cum serpentibus terræ, cum volucribus coeli, et deficient pisces maris, ut nemo judicet, nemo revincat. Indignari se Deus dicit et irasci quod agnitio Dei non sit in terris, et Deus non agnoscitur nec timetur. Delicta mendaciorum, libidinum, fraudium, crudelitatis, impietatis, furoris Deus increpat et incusat, et ad innocentiam nemo convertitur. Fiunt ecce quæ verbis Dei ante prædicta sunt, nec quisquam fide præsentium ut in futurum consulat admonetur. Inter ipsa adversa, quibus vix coactata et conclusa anima respirat, vacat malos esse et in periculis tantis non de se magis sed de altero judicare. Indignamini indignari Deum, quasi aliquid boni male vivendo mereamini, quasi non omnia ista quæ accidunt minora adhuc sint et leviora peccatis vestris.
X. Qui alios judicas, aliquando et tu esto tui judex; conscientiæ tuæ latebras intuere, immo, quia nullus jam delinquendi metus vel pudor est, et sic peccatur quasi magis per ipsa peccata placeatur, qui perspicuus et nudus videris a cunctis, et ipse te respice. Aut enim superbia inflatus es, aut avaritia rapax, aut iracundia sævus, aut alea prodigus, aut vinolentia temulentus, aut livore invidus, aut libidine incestus, aut crudelitate violentus: et miraris in poenas generis humani iram Dei crescere, cum crescat quotidie quod puniatur? Hostem quereris exsurgere, quasi, etsi hostis desit, esse pax inter ipsas togaspossit. Hostem quereris exsurgere, quasi non, etsi externa de barbaris arma et pericula comprimantur, ferocius intus et gravius de calumniis et injuriis potentium civium domesticæ impugnationis tela grassentur. De sterilitate et fame quereris, quasi famem majorem siccitas quam rapacitas faciat, quasi non de captatis annonarum incrementis et pretiorum cumulis flagrantior inopiæ ardor excrescat. Quereris claudi imbribus coelum, cum sic horrea claudantur in terris. Quereris nunc minus nasci, quasi quæ nata sunt indigentibus præbeantur. Pestem et luem criminaris, cum peste ipsa et lue vel detecta sint vel aucta crimina singulorum, dum nec infirmis exhibetur misericordia, et defunctis avaritia inhiat ac rapina. Iidem ad pietatis obsequium timidi, ad impia lucra temerarii, fugientes morientium funera, et appetentes spolia mortuorum, ut appareat in ægritudine sua miseros ad hoc forsitan derelictos esse, ne possint, dum curantur, evadere: nam perire ægrum voluit qui censum pereuntis invadit.
XI. Tantus cladium terror dare non potest innocentiæ disciplinam, et inter populum frequenti strage morientem, nemo considerat se esse mortalem. Passim discurritur, rapitur, occupatur. Prædandi dissimulatio nulla, nulla cunctatio. Quasi liceat, quasi oporteat, quasi ille qui non rapit damnum et dispendium proprium sentiat, sic unusquisque rapere festinat. In latronibus est utcumque aliqua scelerum verecundia; avias fauces et desertas solitudines diligunt, et sic illic delinquitur, ut tamen delinquentium facinus tenebris et nocte veletur. Avaritia palam sævit, et, ipsa audacia sua tuta, in fori luce abruptæ cupiditatis arma prostituit. Inde falsarii, inde venefici, inde in media civitate sicarii, tam ad peccandum præcipites quam impune peccantes. A nocente crimen admittitur, nec innocens qui vindicet invenitur. De accusatore vel judice metus nullus. Impunitatem consequuntur mali, dum modesti tacent, timent conscii, veneunt judicaturi. Et idcirco per Prophetam divino Spiritu et instinctu rei veritas promitur, certa et manifesta ratione monstratur Deum posse adversa prohibere, sed ne ille subveniat merita peccantium facere: Numquid, ait, non valet manus Domini ut salvos vos faciat? aut gravavit aurem ut non exaudiat? Sed peccata vestra inter vos et Deum separant, et propter delicta vestra avertit faciem suam a nobis, ne misereatur. Peccata itaque et delicta reputentur, conscientiæ vulnera cogitentur; et desinet unusquisque de Deo vel de nobis conqueri, si quod patitur intelligat se mereri.
XII. Ecce id ipsum quale est unde nobis vobiscum maxime sermo est, quod nos infestatis innoxios, quod in contumeliam Dei impugnatis atque opprimitis Dei servos. Parum est quod furentium varietate vitiorum, quod iniquitate feralium criminum, quod cruentarum compendio rapinarum vita vestra maculatur, quod superstitionibus falsis religio vera subvertitur, quod Deus omnino nec quæritur nec timetur; adhuc insuper Dei servos et majestati ac nomini ejus dicatos injustis persecutionibus fatigatis. Satis non est quod ipse tu Deum non colis; adhuc insuper eos qui colunt sacrilega infestatione persequeris. Deum nec colis, nec coli omnino permittis; et, cum cæteri, qui non tantum ista inepta idola et manu hominis facta simulacra, sed et portenta quædam et monstra venerantur, tibi placeant, solus tibi displicet Dei cultor. Fumant ubique in templis vestris hostiarum busta et rogi pecorum, et Dei altaria vel nulla sunt vel occulta. Crocodili et cynocephali et lapideset serpentes a vobis coluntur, et Deus solus in terris aut non colitur, aut non est impune quod colitur: innoxios, justos, Deo charos domo privas, patrimonio spolias, catenis premis, carcere includis, gladio, bestiis, ignibus punis. Nec saltem contentus es dolorum nostrorum compendio et simplici ac veloci brevitate poenarum; admoves laniandis corporibus longa tormenta, multiplicas lacerandis visceribus numerosa supplicia; nec feritas atque immanitas tua usitatis potest contenta esse tormentis; excogitat novas poenas ingeniosa crudelitas.
XIII. Quæ hæc est insatiabilis carnificinæ rabies? quæ inexplebilis libido sævitiæ? Quin potius elige tibi alterum de duobus: Christianum esse aut est crimen, aut non est; si crimen est, quid non interficis confitentem? si crimen non est, quid persequeris innocentem? Torqueri enim debui, si negarem. Si, poenam tuam metuens, id quod prius fueram et quod deos tuos non colueram, mendacio fallente celarem, tunc torquendus fuissem, tunc ad confessionem criminis vi doloris adigendus; sicut in cæteris quæstionibus torquentur rei qui se negant crimine quo accusantur teneri, ut facinoris veritas, quæ indice voce non promitur, dolore corporis exprimatur. Nunc vero, cum sponte confitear et clamem et crebris ac repetitis identidem vocibus Christianum me esse contester, quid tormenta admoves confitenti et deos tuos, non in abditis et secretislocis, sed palam, sed publice, sed in foro ipso, magistratibus et præsidibus audientibus, destruenti; ut, etsi parum fuerat quod in me prius criminabaris, creverit quod et odisse et punire plus debeas, quod, dum me Christianum celebri loco et populo circumstante pronuntio, et vos et deos vestrosclara et publica prædicatione confundo?
XIV. Quid te ad infirmitatem corporis vertis? quid cum terrenæ carnis imbecillitate contendis? Cum animi vigore congredere, virtutem mentis infringe, fidem destrue, disceptatione, si potes, vince, vince ratione: vel si quid diis tuis numinis et potestatis est, ipsi in ultionem suam surgant, ipsi se sua majestate defendant; aut quid præstare se colentibus possunt qui se de non colentibus vindicare non possunt. Nam si eo qui vindicatur pluris est ille qui vindicat, tu diis tuis major es. Si autem iis quos colis major es, non tu illos colere, sed ab ipsis potius coli debes et timeri ut dominus. Sic illos læsos ultio vestra defendit, quomodo et clausos, ne pereant, tutela vestra custodit. Pudeat te eos colere quos ipse defendis, pudeat tutelam de iis sperare quos tu ipse tueris. XV. O si audire eos velles et videre quando a nobis adjurantur et torquentur spiritalibus flagris, et verborum tormentis de obsessis corporibus ejiciuntur, quando ejulantes et gementes voce humana, et potestate divina flagella et verbera sentientes venturum judicium confitentur! Veni et cognosce vera esse quæ dicimus. Et quia sic deos colere te dicis, vel ipsis quos colis crede; aut si volueris et tibi credere, de te ipso loquetur, audiente te, qui nunc tuum pectus obsedit, qui nunc mentem tuam ignorantiæ nocte cæcavit. Videbis nos rogari ab eis quos tu rogas, timeri ab eis quos tu times, quos tu adoras; videbis sub manu nostra stare vinctos et tremere captivos quos tu suscipis et veneraris ut dominos. Certe vel sic confundi in istis erroribus tuis poteris quando conspexeris et audieris deos tuos quid sint interrogatione nostra statim prodere et, præsentibus licet vobis, præstigias illas et fallacias suas non posse celare.
XVI. Quæ ergo mentis ignavia est, immo quæ desipientium cæca et stulta dementia, ad lucem de tenebris nolle venire et mortis æternæ laqueis vinctos spem nolle immortalitatis excipere, non metuere Deum comminantem et dicentem: Sacrificans diis, eradicabitur, nisi Domino soli. Et iterum: Adoraverunt eos quos fecerunt digiti eorum, et incurvatus est homo et humiliatus est vir, et non laxabo illis.
Quid te ad falsos deos humilias et inclinas? Quid ante inepta simulacra et figmenta terrena captivum corpus incurvas? Rectum te Deus fecit; et cum cætera animalia prona et ad terram situ vergente depressa sint, tibi sublimis status et ad coelum atque ad Deum sursumvultus erectus est. Illuc intuere, illuc oculos tuos erige, in supernis Deum quære. Ut carere inferis possis, ad alta et coelestia suspensum pectus attolle. Quid te in lapsum mortis, cum serpente quem colis, sternis? quid in ruinam diaboli per ipsam et cum ipso cadis? Sublimitatem serva qua natus es; persevera talis qualis a Deo factus es. Cum statu oris et corporis animum tuum statue. Ut cognoscere Deum possis, te ante cognosce. Relinque idola quæ humanus error invenit. Ad Deum convertere; quem si imploraveris, subvenit. Christo crede, quem vivificandis ac reparandis nobis Pater misit. Lædere servos Dei et Christi persecutionibus tuis desine, quos læsos ultio divina defendit.
XVII. Inde est quod nemo nostrum, quando apprehenditur, reluctatur, nec se adversus injustam violentiam vestram, quamvis nimius et copiosus noster sit populus, ulciscitur. Patientes facit de secutura ultione securitas. Innocentes nocentibus cedunt: insontes poenis et cruciatibus acquiescunt, certi et fidentes quod inultum non remaneat quodcumque perpetimur; quantoque major fuerit persecutionis injuria, tanto et justior fiat et gravior pro persecutione vindicta; nec umquam impiorum scelere in nostrum nomen exsurgitur, ut non statim divinitus vindicta comitetur. Ut memorias taceamusantiquas, et ultiones pro cultoribus Dei sæpe repetitas nullo vocis præconio revolvamus, documentum recentis rei satis est quod sic celeriter quodque in tanta celeritate sic granditer nuper secuta defensio est, ruinis rerum, jacturis opum, dispendio militum, diminutione castrorum. Nec hoc casu accidisse aliquis existimet aut fuisse fortuitum putet, cum jam pridem Scriptura divina posuerit et dixerit: Mihi vindictam, ego retribuam, dicit Dominus; et iterum Spiritus sanctus præmoneat et dicat: Ne dixeris, Ulciscar me de inimico meo; sed exspecta Dominum, ut tibi auxilio sit. Unde clarum est atque manifestum quia non per nos, sed pro nobisaccidunt cuncta ista quæ de Dei indignatione descendunt.
XVIII. Nec ideo quis putet Christianos iisquæ accidunt non vindicari, quod et ipsi videantur accidentium incursioneperstringi: poenam de adversis mundi ille sentit cui et lætitia et gloria omnis in mundo est; ille moeret et deflet, si sibi male sit in sæculo, cui bene non potest esse post sæculum, cujus vivendi fructus omnis hic capitur, cujus hic solatium omne finitur, cujus caduca et brevis vita hic aliquam dulcedinem computat et voluptatem, quando istinc excesserit, poena jam sola superest ad dolorem. Cæterum nullus iis dolorest de incursione malorum præsentium quibus fiducia est futurorum bonorum. Denique nec consternimur adversis, nec frangimur nec dolemus, neque in ulla aut rerum clade aut corporum valetudine mussitamus. Spiritu magis quam carne viventes, firmitate animi infirmitatem corporis vincimus. Per ipsa quæ noscruciant et fatigant, probari et corroborari nos scimus et fidimus.
XIX. Putatis nos adversa vobiscum æqualiter perpeti, cum eadem adversa videatis a nobis et vobis non æqualiter sustineri? Apud vos impatientia clamosa semper et querula est; apud nos fortis et religiosa patientia, quieta semper et semper in Deum grata est; nec quidquam istic lætum aut prosperum sibi vindicat, sed mitis et lenis et contra omnes fluctuantis mundi turbines stabilis, divinæ pollicitationis tempus exspectat. Quamdiu enim corpus hoc permanet, commune cum cæteris sit necesse est et corporalis conditio communis; nec separari generi humanoab invicem datur, nisi si istinc de sæculo recedatur. Iutra unam domum boni et mali interim continemur. Quicquid intra domum evenerit pari sorte perpetimur, donec, ævi temporalis fine completo, ad æternæ vel mortis vel immortalitatis hospitia dividamur. Non ergo idcirco compares vobis et æquales sumus quia, in isto adhuc mundo et carne hac constituti, mundi et carnis incommoda vobiscum pariter incurrimus: nam, cum in sensu doloris sit omne quod punit, manifestum est eum non esse participem poenæ tuæ quem tecum videas æqualiter non dolere.
XX. Viget apud nos spei robur et firmitas fidei; inter ipsas sæculi labentis ruinas erecta mens est et immobilis virtus, et numquam non læta patientia, et de Deo suo semper anima secura, sicut per Prophetam Spiritus sanctus loquitur et hortatur, spei ac fidei nostræ firmitatem coelesti voce corroborans: Ficus, inquit, non afferet fructum, et non erunt nascentia in vineis. Mentietur opus olivæ, et campi non præstabunt cibum. Deficient a pabulo oves, et non erunt in præsepibus boves. Ego autem in Domino exultabo, et gaudebo in Deo salutari meo. De Dei hominem et cultorem Dei, subnixum spei veritate et fidei stabilitate fundatum, negat mundi hujus et sæculi infestationibus commoveri. Vinea licet fallat et olea decipiat, et herbis siccitate morientibus æstuans campus arescat, quid hoc ad Christianos? quid ad Dei servos, quos paradisus invitat, quos gratia omnis et copia regni coelestis exspectat? Exsultant semper in Domino, et lætantur et gaudent in Deo suo, et mala atque adversa mundi fortiter tolerant, dum dona et prospera futura prospectant. Nam qui, exposita nativitate terrena, spiritu recreati et renati sumus, nec jam mundo sed Deo vivimus, non, nisi cum ad Deum venerimus, Dei munera et promissa capiemus. Et tamen pro arcendis hostibus et imbribus impetrandis, et vel auferendis vel temperandis adversis, rogamus semper et preces fundimus, et pro pace ac salute vestra propitiantes ac placantes Deum diebus ac noctibus jugiter atque instanter oramus.
XXI. Nemo itaque sibi blandiatur quod nobis et profanis Dei cultoribus et Deo adversantibus sit interim, per æqualitatem carnis et corporis, laborum sæcularium conditio communis, ut ex hoc opinetur non omnia ista quæ accidunt vobis irrogari, cum Dei ipsius prædicatione et prophetica contestatione ante prædictum sit venturam super injustos iram Dei et persecutiones quæ nos humanitus læderent non defuturas, sed et ultiones quæ læsos divinitus defenderent secuturas.
XXII. Et quanta sunt quæ istic pro nobis interim fiunt? In exemplum aliquid datur, ut Dei vindicis ira noscatur. Cæterum retro est judicii dies, quem Scriptura sancta denuntiat dicens: Ululate, proximus est enim dies Domini, et obtritioa Deo aderit. Ecce enim dies Domini venit insanabilis indignationis et iræ, ponere orbem terræ desertum, et peccatores perdere ex eo. Et iterum: Ecce dies Domini venit ardens velut clibanus, eruntque omnes alienigenæ et omnes iniqui stipula; et succendet illos adveniens dies, dicit Dominus. Succendi et cremari alienigenas præcinit Dominus, id est alienos a divino genere et profanos, spiritaliter non renatos nec Dei filios factos. Evadere enim eos solos posse qui renati et signo Christi signati fuerint alio in loco Deus loquitur, quando, ad vastationem mundi et interitum generis humani Angelos suos mittens, gravius in ultimo comminatur dicens: Vadite et cædite, et nolite parcere oculis vestris. Nolite misereri senioris aut juvenis, et virgines et parvulos et mulieres interficite, ut perdeleantur. Omnem autem super quem signum scriptum est ne tetigeritis. Quod autem sit hoc signum, et qua in parte corporis positum, manifestat alio in loco Deus dicens: Transi per mediam Hierusalem, et notabis signum super frontes virorum qui ingemunt et mærent ob iniquitates quæ fiunt in medio ipsorum. Et quod ad passionem et sanguinem Christi pertineat hoc signum, et ille salvus atque incolumis reservetur quisquis in hoc signo invenitur, item Dei testimonio comprobatur dicentis: Et erit sanguis in signovobis super domos in quibus voseritis; et videbo sanguinem, et protegam vos, et non erit in vobis plaga diminutionis cum percutiam terram Ægypti. Quod ante occiso agno præcedit in imagine, impletur in Christo, secuta postmodum veritate. Ut illic, percussa Ægypto, Judaicus populus evadere non nisi sanguine et signo agni potuit, ita et, cum vastari coeperit mundus et percuti, quisquis in sanguine et signo Christi inventus fuerit, solus evadet.
XXIII. Respicite itaque, dum tempus est, ad veram et æternam salutem; et quia jam mundi finis in proximo est, ad Deum mentes vestras Dei timore convertite. Nec vos delectet in sæculo inter justos et mitesimpotens ista et vana dominatio, quando et in agro inter cultas et fertiles segetes lolium et avena dominetur. Nec dicatis mala accidere quia dii vestri a nobis non colantur, sed sciatis hanc iræ Deiesse censuram, ut qui beneficiis non intelligitur, vel plagis intelligatur. Deum vel sero quærite, quia jam pridem per Prophetam Deus præmonens hortatur et dicit: Quærite Deum, et vivet anima vestra. Deum vel sero cognoscite, quia Christus adveniens hoc admonet et docet dicens: Hæc est autem vita æterna, ut cognoscant te solum verum Deum et quem misisti Jesum Christum. Credite illi qui omnino non fallit; credite illi qui hæc omnia futura prædixit; credite illi qui credentibus præmium vitæ æternæ dabit; credite illi qui incredulis æterna supplicia gehennæ ardoribus irrogabit.
XXIV. Quæ tunc erit fidei gloria, quæ poena perfidiæ, cum judicii dies venerit? quæ lætitia credentium, quæ moestitia perfidorum, noluisse istic prius credere, et ut credant jam redire non posse? Cremabit addictos ardens semper gehenna, et vivacibus flammis vorax poena; nec erit unde habere tormenta vel requiem possint aliquando vel finem. Servabuntur cum corporibus suis animæ infinitis cruciatibus ad dolorem. Spectabitur illic a nobis semper qui hic nos spectavit ad tempus, et in persecutionibus factis oculorum crudelium brevis fructus perpetua visione pensabitur, secundum Scripturæ sanctæ fidem dicentis: Vermis eorum non morietur, et ignis eorum non extinguetur; et erunt ad visionem universæ carni. Et iterum: Tunc stabunt justi in magna constantia adversus eos qui se angustiaverunt et qui abstulerunt labores eorum. Videntes turbabuntur timore horribili, et mirabuntur in subitatione insperatæ salutis, dicentes inter se, poenitentiam habentes et præ angustiaspiritus gementes: Hi sunt quos habuimus aliquando in derisumet in similitudinem improperii. Nos insensati viam illorum æstimabamus insaniam et finem illorum sine honore. Quomodo computati sunt inter filios Dei, et inter sanctos sors eorum est! Ergo erravimus a via veritatis, et justitiæ lumen non luxit nobis, et sol non ortus est nobis. Lassati sumus in iniquitatis via et perditionis, ambulavimus solitudines difficiles, viam autem Domini ignoravimus. Quid nobis profuit superbia, aut quid divitiarum jactatio contulit nobis? Transierunt omnia illa tamquam umbra. Erit tunc sine fructu poenitentiæ dolor poenæ, inanis ploratio et inefficax deprecatio. In æternam poenam sero credent qui in vitam æternam credere noluerunt.
XXV. Securitati igitur et vitæ, dum licet, providete. Offerimus vobis animi et consilii nostri salutare munus. Et quia odisse non licet nobis, et sic Deo plus placemus dum nullam pro injuria vicem reddimus, hortamur, dum facultas adest, dum adhuc aliquid de sæculo superest, Deo satisfacere et ad veræ religionis candidam lucem de profundo tenebrosæ superstitionis emergere. Non invidemus commodis vestris, nec beneficia divina celamus. Odiis vestris benevolentiam reddimus, et pro tormentis ac suppliciis quæ nobis inferentur salutis itinera monstramus. Credite et vivite; et qui nos ad tempus persequimini, in æternum gaudete nobiscum. Quando istinc excessumfuerit, nullus jam poenitentiæ locus est, nullus satisfactionis effectus. Hic vita aut amittitur aut tenetur; hic saluti æternæ cultu Dei et fructu fidei providetur. Nec quisquam aut peccatis retardetur aut annis quominus veniat ad consequendam salutem: in isto adhuc mundo manenti poenitentia nulla sera est; patet ad indulgentiam Dei aditus, et quærentibus atque intelligentibus veritatem facilis accessus est. Tu, sub ipso licet exitu et vitæ temporalis occasu, pro delictis roges et Deum, qui unus et verus est, confessione et fide agnitionis ejus implores, venia confitenti datur, et credenti indulgentia salutaris de divina pietate conceditur, et ad immortalitatem sub ipsa morte transitur. Hanc gratiam Christus impertit, hoc munus misericordiæ suæ tribuit, subigendo mortem trophæo crucis, redimendo credentem pretio sanguinis sui, reconciliando hominem Deo Patri, vivificando mortalem regeneratione coelesti. Hunc, si fieri potest, sequamur omnes, hujus sacramento et signo censeamur. Hic nobis viam vitæ aperit, hic ad paradisum reduces facit, hic ad coelorum regna perducit. Cum ipso semper vivemus, facti per ipsum filii Dei; cum ipso semper exultabimus, ipsius cruore reparati. Erimus Christiani cum Christo simul gloriosi, de Deo Patre beati, de perpetua voluptate lætantes semper in conspectu Dei, et agentes Deo gratias semper. Neque enim poterit nisi lætus esse semper et gratus, qui, cum morti fuisset obnoxius, factus est immortalitate securus. |
I. Jusqu’ici, Démétrien, je m’étais contenté de mépriser les impiétés que vous vomissez avec tant de chaleur contre le seul et vrai Dieu qu’adorent les chrétiens. Je croyais qu’il valait mieux laisser tomber les propos insensés d’un ignorant, que de les provoquer en y répondant. C’est ce que me dictaient les maximes sacrées de nos livres divins: Ne parlez point, nous disent-elles, à un insensé, de crainte qu’il ne se moque de ce que vous lui direz... Ne répondez point à l’insensé selon sa folie, de peur de lui ressembler à lui-même. Il nous est ordonné de renfermer dans notre cœur les vérités saintes et de ne pas les exposer à être foulées sous les pieds des animaux immondes. Ne donnez point, nous dit le Seigneur, les choses saintes aux chiens, et ne jetez point vos perles devant les pourceaux, de peur qu’ils ne les foulent aux pieds, et qu’ils ne se jettent sur vous et ne vous déchirent. Dans les fréquentes visites dont vous m’honoriez, entrevoyant que leur secret motif était le désir de disputer et d’outrager notre croyance par vos blasphèmes plutôt que la curiosité de vous instruire et d’écouter nos raisons, j’ai regardé comme très inutile d’entrer en conférence avec vous. C’est perdre son temps que de présenter un flambeau à un aveugle, de donner de bonnes raisons à un sourd, des avis sages à qui ne peut les sentir. II. Telles sont les réflexions qui m’avaient engagé à garder le silence, dans l’espoir de triompher de vos emportements par la patience; puisque ni mes leçons ne pourraient rien gagner sur votre indocilité, ni le langage de la religion sur votre déchaînement, ni la modération sur la fougue de votre caractère. Mais aujourd’hui que vous faites retentir ce cri: que c’est par tout l’Empire une plainte générale contre les chrétiens, qu’on accuse de la fréquence des guerres qui s’élèvent, des fléaux de la famine, de la mortalité, des inondations qui se succèdent sans relâche le silence n’est plus de saison; on le regarderait, non comme résignation de notre part, mais comme l’aveu de notre impuissance à nous défendre. Je vous répondrai donc, à vous, Démétrien, et à ceux que vous pourriez avoir entraînés dans vo iniques préventions contre nous. Tel qui se prête à de mauvaises impressions, sur la foi du mensonge qui le trompe, se rendra à la vérité quand elle se sera montrée à ses regards. III. Vous dites donc que c’est à nous qu’il faut imputer les calamités diverses qui accablent aujourd’hui la société tout entière; et cela, parce que nous n’adorons pas vos dieux. Comme vous êtes peu au fait des secrets de la divine Providence, il faut vous apprendre, en premier lieu, que le monde est sur son déclin, qu’il est bien loin d’avoir la même force et la même vigueur qu’il avait autrefois. Nous n’avons pas besoin, pour le prouver, du témoignage de nos saintes Écritures. Il nous suffit de prêter l’oreille à la voix du monde lui-même, qui accuse sa décrépitude, et, par un dépérissement successif, nous annonce sa prochaine destruction. L’hiver ne nous donne plus ses pluies abondantes qui fécondent les semences; l’été n’a plus les vives ardeurs qui mûrissent les fruits; le printemps a perdu sa douce température, et l’automne ses bénignes influences; partout la nature épuisée devient avare de ses dons. Tout dégénère, la milice dans les camps, l’intégrité dans le barreau, la bonne foi dans l’amitié, l’habileté dans les arts, la gravité dans les mœurs. Croyez-vous que l’on puisse être, sur le retour de l’âge et sous les glaces de la vieillesse, ce que l’on fut dans la première sève de la jeunesse? Voyez le soleil à son couchant, ses feux amortis ne lancent plus que de pâles rayons. La lune au déclin de sa course cesse de briller à l’horizon. L’arbre jusque-là riche de son feuillage et de ses fruits, atteint par la vieillesse, perd sa fécondité avec la belle parure de ses rameaux. La source de qui l’onde auparavant jaillissait avec abondance, finit par n’amener qu’un simple filet d’eau. Tel est l’arrêt porté sur le monde; telle est la loi établie par le souverain Créateur: que tout ce qui a commencé prenne fin; que, dans toutes choses, le point de la perfection en soit le terme, et qu’une dégradation insensible en amène nécessairement la destruction. IV. Quand donc vous reprochez aux chrétiens que tout empire à mesure que le monde vieillit, c’est comme si les vieillards s’avisaient de nous reprocher les incommodités de l’âge, l’altération de leurs organes, l’affaiblissement de leurs forces et le dépérissement de leur corps. Autrefois la vie se prolongeait par delà plusieurs siècles; maintenant à peine en peut-elle atteindre un seul. Combien aujourd’hui de vieillesses précoces, et qui commencent dès. le berceau! Le premier pas que l’on lit en entrant dans la vie mène à ce dénouement, et tout ce qui prend aujourd’hui naissance présente les caractères de cet affaiblissement général. Faut-il s’étonner que tout dégénère dans le monde, puisque le monde tout entier lui-même marche à la décrépitude?
V. Vous vous plaignez de ces fréquentes guerres, de ces stérilités et de ces famines qui nous dévorent, de tant de fléaux meurtriers, dont les ravages, autrefois inconnus, consument aujourd’hui l’espèce humaine; mais tout cela avait été prédit pour les temps où nous sommes. Nous devions nous attendre à voir les maux se multiplier, se produire dans les formes les plus diverses, et manifester l’approche du dernier jugement, par la successive accumulation des maux que la colère de Dieu épanche sur la terre. La cause de ces désolations, ce n’est point, comme vous affectez de le répandre, sans autre fondement que l’ignorance où vous êtes de la vérité, ce n’est point parce que nous n’adorons pas vos dieux, c’est parce que vous, vous n’adorez pas le vrai Dieu. Arbitre et dominateur suprême de tout l’univers, c’est lui qui dispose à son gré de tous les événements; rien n’arrive dans le monde que par son ordre ou par sa permission. Lors donc qu’il arrive de ces événements, auxquels il est impossible de méconnaître la colère du Ciel qui se venge, qui faut-il en accuser, ou les chrétiens, par qui il est honoré, ou vous seuls, dont les crimes ont provoqué sou courroux? vous, qui ne songez pas même à le chercher, ni à le craindre; vous, qu’une vaine et mensongère superstition éloigne de lui, et empêche que l’unique Dieu de tous soit l’objet du culte et des vœux de tous? VI. Ecoutez ces oracles Vous adorerez le Seigneur votre Dieu, et vous ne servirez que lui seul. — Vous n’aurez point d’autre Dieu que moi. — N’allez point après des dieux étrangers pour les adorer et les servir, et ne m’obligez point par vos crimes à vous perdre. Voici dans quels termes un de ses prophètes, rempli de son divin Esprit, vous dénonce sa colère et ses vengeances : Voici ce que dit le Seigneur Dieu tout-puissant Parce que ma maison est déserte, et que chacun de vous se hâte d’aller en sa maison, le ciel ne versera plus ses pluies, et la terre ne produira plus ses fruits; et je ravagerai la terre, le blé, le vin, l’huile, les hommes et les bêtes, et tous leurs travaux. Un autre fait éclater de semblables menaces : Je ferai pleuvoir sur une ville, et ne ferai point pleuvoir sur une autre. La pluie tombera d’un côté, et le côté où elle ne tombera pas séchera. Deux ou trois villes viendront tians une même ville pour boire, et ne pourront se désaltérer; et après cela vous ne vous convertirez point au Seigneur.[2] VII. Vous l’entendez le Seigneur irrité menace; il se venge, il vous châtie, parce que vous ne vous convertissez pas à lui. Et cependant, opiniâtre dans votre indocilité, vous vous étonnez, vous murmurez de ce que les rosées du ciel ne viennent plus étancher la soif de la terre, de ce qu’un sol aride et poudreux produit à peine quelques germes bientôt avortés, que vos vignes soient mutilées par la grêle, vos oliviers emportés par des ouragans impétueux; vous vous plaignez que vos fontaines tarissent, que l’air soit infecté par des miasmes pestilentiels, que des maladies contagieuses assiègent l’espèce humaine, quand vos péchés vous montrent la source toujours renaissante de ces calamités, quand votre endurcissement ne fait qu’irriter de plus en plus le courroux céleste! Dieu en agit ainsi pour corriger les méchants ou pour les punir. Son Écriture le déclare en termes formels : C’est en vain, dit le Seigneur par la voix d’un de ses prophètes, que j’ai frappé vos enfants, ils ne se sont pas corrigés et le prophète répond : Vous les avez frappés, et ils ne l’ont pas senti; vous les avez affligés, et ils n’ont pas voulu rentrer dans leur devoir. Dieu châtie, et on ne le craint point! les fléaux de sa colère se succèdent sans interruption, et les cœurs restent insensibles! Que serait-ce s’il gardait le silence? Jusqu’où les hommes ne porteraient-ils pas leur sacrilège audace, s’ils n’avaient rien à redouter de sa justice? VIII. Vous vous plaignez que les éléments ne soient pas à l’ordre de vos besoins ou de vos plaisirs; mais je vous demande Servez-vous Dieu, vous qui voulez que toutes choses vous servent? lui obéissez-vous, vous qui faites de toute la nature la tributaire de vos caprices? Vous exigez de votre esclave qu’il vous soit tout dévoué. Homme d’un jour! cet esclave est-il moins homme que vous? Entré dans le monde aux mêmes conditions, votre égal par sa naissance et par sa mort, pourvu des mêmes organes, doué tout aussi bien que vous d’une âme raisonnable, appelé aux mêmes espérances, soumis aux mêmes lois, tant pour la vie présente que pour le temps à venir; vous le contraignez bien à vous obéir, à vous être assujetti; et s’il lui arrive d’oublier un moment le droit que vous avez de lui commander, s’il néglige d’exécuter vos ordres avec une rigoureuse précision, malheur à lui! Maître impérieux, exécuteur impitoyable des droits de votre domination, vous n’épargnez ni les coups, ni les fouets, ni les privations; vous le châtiez par les supplices de la faim et de la soif; vous le dépouillez; souvent vous le chargez de chaînes et l’enfermez dans les cachots. Misérable! tandis que vous savez si bien faire valoir votre qualité de maître sur un homme, vous ne voulez pas reconnaître le maître et le Seigneur de tous les hommes! IX. Plaignez-vous encore des plaies dont la colère du Ciel frappe vos incurables iniquités! Mais attendez-vous à plus encore : à des cachots d’où l’on ne sort plus à des feux vengeurs qui ne s’éteindront jamais, à des châtiments qui ne finiront pas. Représailles légitimes! on n’a point voulu prêter l’oreille à ses menaces; il sera sourd aux gémissements qui imploreront trop tard sa miséricorde. Enfants d’Israël, avait-il dit par la voix d’un prophète, écoutez ce que dit le Seigneur. Voici qu’il va juger les habitants de la terre, parce qu’il n’y a plus sur la terre ni miséricorde, ni justice, ni connaissance de Dieu, mais abomination, mensonge, meurtres, brigandages, adultères, incestes. C’est pourquoi la terre sera désolée avec tous ses habitants, avec les bêtes de la campagne, avec les serpents de la terre, les oiseaux du ciel; et les poissons mêmes de la mer seront enveloppés dans leur ruine. Dieu fait éclater son indignation; il sévit contre les coupables qui refusent de le reconnaître; et ils s’opiniâtrent dans leur aveuglement! il accuse, il punit leurs impostures, leurs débauches, leurs artifices, leurs emportements, leurs impiétés; et personne ne se convertit! Ces terribles prédictions s’accomplissent sous nos yeux; et ils restent fermés à la lumière! Enchaînés dans un cercle d’adversités qui nous laissent à peine le temps de respirer, nous n’en avons pas moins le loisir d’être méchants; et au milieu des dangers qui nous pressent, nous sommes plus occupés de condamner les autres que de nous condamner nous-mêmes! Vous avez de l’humeur de ce que Dieu s’irrite, comme si, en vivant mal, vous méritiez que Dieu vous fît du bien; comme si tout ce qui vous arrive n’était pas encore moindre que ce que vous méritez! X. O vous qui vous faites le Juge des autres! sondez les secrets replis de votre conscience; ou plutôt, parce que vous avez cessé de craindre ou de rougir d’offenser Dieu, et que vous semblez vous faire de vos péchés mêmes des titres à la considération, regardez-vous vous-même des mêmes yeux avec lesquels les autres vous voient à nu et tel que vous êtes Vous êtes dominé par l’orgueil ou par l’avarice; ta colère vous emporte à des excès qui vont jusqu’à la cruauté; vois vous livrez aux prodigalités du jeu, à de crapuleuses débauches, à une jalousie basse qui vous dévore, à des faiblesses honteuses qui vous dégradent, des violences qui vous jettent dans la barbarie; et vous vous étonnez que la colère de Dieu redouble les châtiments dont elle punit le genre humain quand chaque jour voit redoubler les motifs de sa colère! Vous vous plaignez des invasions de l’ennemi, quand, à défaut de l’ennemi, la paix elle-même nous est funeste! Vous vous en prenez à l’ennemi du dehors et quand les Barbares ne viendraient pas des extrémités du monde menacer notre liberté, les calomnies, les injustices, les abus de la puissance, ne nous font-ils pas au dedans une guerre et plus dangereuse et plus implacable? Vous accusez la stérilité et la famine; comme s’il fallait s’en prendre à la stérilité elle-même, plutôt qu’aux crimes des hommes! vous qui, spéculant sur la misère publique, l’aggravez impitoyablement par vos calculs usuraires! Vous vous plaignez que le ciel nous refuse des pluies fécondes: mais les greniers s’ouvrent-ils aux besoins de l’indigence? que la terre produise moins de fruits : mais ceux qu’elle vous donne, les partagez-vous avec ceux qui n’en ont pas? que les mortalités nous assiègent: mais quels sont les secours accordés aux malades? Les morts eux-mêmes ne font qu’exciter l’avarice, qui en dévore la dépouille. Si lâches à remplir les devoirs les plus sacrés; si empressés à courir après des gains sacrilèges; toujours bien loin du lit des mourants; toujours ardents à disputer la succession des morts, il semble qu’on ne les avait abandonnés durant leur maladie, que de peur qu’ils n’en réchappassent: car s’emparer ainsi de la fortune du mort, n’est-ce pas témoigner que l’on formait des vœux contre sa vie? XI. Un aussi formidable appareil des vengeances divines n’est pas encore capable de nous ramener à la règle et à l’amour du devoir. Et au milieu de ce carnage affreux de tout un peuple; au milieu de tous ces morts amoncelés autour de nous, personne ne pense que soi-même on est mortel. De tous côtés on s’agite, on s’empresse, on ne songe qu’au pillage, qu’à l’invasion; on ne s’occupe pas même de masquer ses brigandages; nulle hésitation, nulle crainte. Il semble que ce soit chose permise, une sorte de devoir, et que ne pas attenter au bien d’autrui, ce soit faire tort à son propre bien. Les voleurs publics conservent du moins dans leurs excès une ombre de retenue; ils choisissent et des lieux écartés et des solitudes profondes; ils ont grand soin d’envelopper leurs crimes des voiles et du silence de la nuit. L’avarice marche tête levée, et, assurée par sa propre audace, elle étale au grand jour son insatiable cupidité. De là les fausses délations, les empoisonnements, tant de forfaits dont l’audace effrénée trouve une sauvegarde dan» l’impunité. Les coupables, ils pullulent et ne trouvent partout que des complices. Point de juste qui soit en droit de les punir. Gomment réprimer les méchants, quand il n’y a plus de frein qui les arrête, quo les plus discrets n’ont pas le courage ou la pudeur de parler, et qu’il n’y a plus de juge qui ne se matie à l’encan. Aussi nos divins oracles nous apprennent-ils pourquoi Dieu, pouvant, s’il voulait, empêcher les calamités, leur laisse un libre cours en punition des péchés qui les provoquent: Est-ce que La main du Seigneur est impuissante pour vous sauver? demande un prophète. Est-ce qu’il a appesanti votre oreille et l’a rendue sourde? Ce sont vos péchés qui ont mis un mur de séparation entre lui et wus, et qui l’obligent à détourner de vous son visage, afin qu’il ne soit point ému de compassion. Que chacun se rende compte de ses iniquités; qu’il porte la sonde au fond de sa conscience, et l’on cessera de s’en prendre à Dieu ou aux chrétiens, en reconnaissant qu’il n’a que trop mérité le châtiment qu’il endure. XII. C’est là sur quoi nous insistons particulièrement dans nos discours; la principale apologie que nous opposons à vos persécutions, où Dieu n’est pas plus épargné que ses serviteurs. Pour vous ce n’est pas assez que votre vie soit souillée par mille abominables désordres, par les attentats les plus monstrueux, per une insatiable et sanguinaire avarice, pas assez que des superstitions mensongères vous détournent de la religion véritable; qu’il n’y ait parmi vous ni crainte de Dieu ni désir de le connaître, c’est pour vous un besoin de persécuter avec le plus inique acharnement les serviteurs de Dieu, fidèles adorateurs de sa majesté et de son nom. Vous ne l’honorez pas, et vous ne voulez pas même qu’on l’honore; et quand vos faveurs se prodiguent à ceux qui ont choisi pour objet de leur culte de vains et ridicules simulacres, l’ouvrage de la main des hommes, des idoles monstrueuses et abominables; votre haine s’appesantit sur l’adorateur du vrai Dieu. Partout vos temples regorgent du sang des animaux égorgés en l’honneur de vos fausses divinités, et sont noircis de la fumée de vos sacrifices; Dieu seul, ou n’a point d’autels, ou il faut se cacher pour l’adorer. Des crocodiles, des cynocéphales, des serpents, des pierres, voilà vos dieux; il n’y a que le seul Dieu véritable que l’on ne révère pas sur la terre, ou que l’on ne puisse pas révérer impunément. Des hommes qui ont justes innocents, chéris de Dieu, ou vous les bannissez, ou vous les dépouillez de leurs biens, ou vous les chargez de chaînes, ou vous les condamnez aux bêtes, aux flammes, ou vous les faites périr par le glaive. C’est un regret pour vous de voir finir nos souffrances ou de les voir abréger. Vous aimez à prolonger nos tortures, pour nous déchirer lentement, multiplier notre agonie, enchérir sans cesse sur votre cruauté, et sans cesse imaginer de nouveaux supplices. XIII. Qu’est-ce dont que cette rage insatiable de barbarie? Que veut dire cette soif implacable du sang chrétien? Mais de deux choses l’une: ou c’est un crime d’être chrétien ou ce n’en est pas. Si c’est un crime, pourquoi ne condamnez-vous pas à mort aussitôt après qu’on s’est avoué tel? Si ce n’en est pas un, pourquoi tourmenter un innocent? Je ne dois être mis à la torture qu’au cas où je le nierais. A la bonne heure, si je dissimulais par la crainte du supplice; mais quand je suis le premier à confesser hautement, à répéter que je le suis, le premier à insulter à vos dieux; que je n’en fais pas mystère que je le déclare, non en secret, obscurément, mais en présence de tout le peuple, au pied des tribunaux, sans craindre d’irriter encore davantage et votre haine et vos bourreaux; que je vous reproche hautement à vous et à vos dieux votre imposture; pourquoi vous adresser à mon corps, qui est faible, à une chair que la violence des tortures mettra bientôt hors de combat? c’est mon intelligence qu’il faudrait plutôt attaquer. Essayez-vous à ma vertu, livrez assaut à ma foi, engagez le combat par la. discussion, et triomphez, si vous le pouvez, de ma raison. XIV. Que si vos dieux ont ce que vous les dites, qu’ils prennent en main leur propre cause; qu’ils entreprennent de venger leur divinité; qu’ils fassent voir ce qu’ils peuvent en faveur de ceux qui les servent, s’ils ne peuvent rien contre ceux qui ne les servent pas. C’est vous qui les défendez, ce n’est pas eux qui sont capables de se défendre eux-mêmes. Vous êtes donc plus puissant qu’eux; et loin de leur rendre vos hommages, c’est vous qui avez plutôt le droit d’en, exiger de leur part. Quelle honte de vous prosterner devant des idoles qui ne peuvent se passer de vous, d’implorer la protection de ceux qui ont besoin de la vôtre!
XV. Oh! si vous aviez la curiosité de les voir, de les entendre, toutes les fois que nous les conjurons par nos exorcismes; que, par les brûlants aiguillons de nos paroles, nous les contraignons à quitter les corps qu’ils tenaient obsédés; que, tourmentés par la puissance divine et par des fouets invisibles, ils confessent en pleurant et en gémissant le jugement à venir! Venez, venez reconnaître par vous-même la vérité de ce que nous vous disons. Et puisque vous dites que ce sont là vos dieux, croyez au moins à vos dieux! Si vous voulez n’en croire qu’à vous-même, celui qui maintenant vous obsède et vous aveugle saura bien se faire entendre; Il vous dira que ces dieux, à qui vous adressez des prières, nous en adressent à nous; qu’ils nous redoutent quand vous êtes à leurs pieds; qu’ils tremblent en notre présence comme de misérables esclaves, eux que vous regardez comme vos maîtres. Au moins pourrez-vous reconnaître votre erreur, en les voyant, en les entendant confesser, sur notre simple appel, ce qu’ils sont, et découvrir à vos propres yeux leurs impostures et leurs prestiges XVI. Quelle faiblesse, ou plutôt quelle démence n’est-ce donc pas de ne vouloir point sortir de ses ténèbres pour embrasser la lumière; que d’aimer mieux demeurer engagé dans la mort éternelle que de vivre dans l’espérance d’une bienheureuse immortalité! de fermer l’oreille aux menaces du vrai Dieu, quand il vous dit: Celui qui sacrifiera à d’autres dieux qu’au Seigneur sera exterminé; et encore : Ils ont adoré ceux qu’ont fait leurs mains, ils se sont courbés et humiliés devant eux; je ne leur pardonnerai point ce crime. Quoi! vous dégrader de la sorte et ramper aux pieds de ces fausses divinités! vous courber lâchement devant d’impuissantes idoles et de vains simulacres forgés par des mains mortelles! Vous à qui les mains du Dieu qui vous créa ont imprimé cette stature droite, élevée, qui vous distingue des animaux courbés à terre, vous oubliez que vous êtes fait pour le ciel. Laissez donc vos regards se diriger d’eux-mêmes vers le lieu où Dieu réside. Cherchez-le par-dessus cette terre. Pour éviter de tomber plus bas, portez plus haut vos pensées et vos affections! Adorateur des démons, vous risquez d’être enveloppé dans leur ruine. Vous vous précipitez à l’aveugle dans l’abîme où ils sont tombés. Réservez-vous pour les hautes destinées où vous appelle la dignité d’homme. Soyez réellement ce que. Dieu vous a fait. Mettez votre âme à l’unisson de votre corps, qui ne pose sur la terre que par ses extrémités. Pour connaître Dieu, commencez par vous connaître. Laissez là des idoles inventées par le mensonge et l’ignorance; convertissez-vous au Seigneur: il suffit de recourir à lui pour en être exaucé; croyez à Jésus-Christ, Fils de Dieu, que Dieu son Père a envoyé pour nous donner la vie et nous racheter; cessez de persécuter les serviteurs de Dieu et de son Christ : ils sont sous la protection du Ciel. XVII. C’est pour cela que jamais on ne nous voit nous défendre quand nous sommes arrêtés, ni chercher à nous venger de vos tyranniques violences, bien que nous formions un peuple nombreux. Nous supportons en silence toutes vos tortures, parce que nous savons avec certitude que nos souffrances sont comptées, et que plus l’injustice dont nous sommes les victimes est criante, plus la vengeance sera éclatante autant que légitime. Jamais on n’a persécuté notre religion, que le Ciel ne se soit déclaré contre ses oppresseurs. Sans en aller chercher la preuve à des époques reculées, vous venez tout récemment de sentir la main vengeresse du Dieu qui nous protège, par la chute des rois et des empires, que vous avez vus disparaître en un moment, par l’anéantissement de tant de fortunes, les défaites d’armées si puissantes, l’appauvrissement de vos légions.[3] Dira-t-on que le hasard ait tout fait, quand nos saintes Écritures l’avaient prédit dans ces termes: A moi la vengeance, dit le Seigneur, et je l’accomplirai? Ne dites pas, avait dit l’Esprit saint lui-même: Je me vengerai de mon ennemi; mais reposez-vous sur le Seigneur, pour le temps où il vous protégera. Il est donc manifeste que les fléaux dont vous êtes accablés arrivent, non par nous, mais pour nous, comme effets de la vengeance de Dieu. XVIII. « Mais, direz-vous, ils n’épargnent pas plus les chrétiens que les autres? » Oui, mais avec cette différence que les disgrâces du monde, sensibles pour ceux qui, mettant leur joie et la gloire dans le monde présent, n’ont point de récompenses à espérer dans le monde à venir, n’enlèvent rien à ceux qui, indifférents sur les biens et sur les maux de la vie, sont assurés des biens futurs. Resserrés dans le cercle étroit de cette vie d’un moment, toujours prête à leur échapper, qu’ils arrêtent leur félicité à ces étroites limites: par-delà, il n’y a pour eux que châtiments et douleurs. Mais il n’en est pas ainsi de nous. Non, pour nous il n’est point d’adversités qui nous abattent, point de fléaux qui nous accablent, point d’infirmités qui excitent nos murmures. Vivants par l’esprit plutôt que par la chair, nous trouvons dans la force de l’âme de quoi surmonter la faiblesse du corps. Ce qui est pour vous sujet de peine et de terreur n’est pour nous qu’une épreuve, un soutien. XIX. Pouvez-vous croire que nous voyons les disgrâces des mêmes yeux que vous, quand vous êtes les premiers témoins de la manière si différente dont elles nous frappent, vous et nous? Ce n’est parmi vous que reproches, que clameurs. Nous, loin de nous plaindre, calmes et résignés au sein de la souffrance, nous ne savons que bénir et remercier Dieu; nous, indifférents sur la bonne ou la mauvaise fortune, tranquilles, inaltérables, nous laissons gronder autour de nous les flots orageux du monde, en attendant l’accomplissement des divines promesses. Tant que nous sommes enchaînés dans les liens du corps, il faut bien que nous soyons assujettis à la commune destinée du corps; et ce n’est qu’en se séparant de ses semblables par la mort, que l’homme s’affranchit des maux qui pèsent sur tout ce qui est homme. Enfermés, bons ou méchants, dans une même enceinte, nous en partageons tous ensemble les accidents divers, jusqu’au discernement qui sera fait des uns et des autres, à la consommation des siècles, pour assigner aux uns et aux autres l’immortalité des récompenses et des châtiments. Il n’y a donc point ici de parité entre vous et nous, sous le prétexte que, durant notre commun séjour dans ce monde, comme vous sous la dépendance du monde et des sens, nous payons un égal tribut aux exigences du monde et de la chair. Car puisque tout ce qui est châtiment n’existe que par le sentiment de la douleur qui l’accompagne, il est clair que les événements qui ne nous affectent pas de la douleur que vous en ressentez, ne sont pas pour nous des châtiments. XX. Ce qui nous arme contre eux, c’est l’espérance qui nous soutient et la foi qui nous anime; c’est la constance de la vertu ferme, inébranlable sous les ruines du monde qui s’écroule; c’est la résignation à des souffrances que souvent même nous embrassons avec joie, assurés que nous sommes que notre Dieu ne nous manquera pas, comme il s’y est engagé par ces paroles de son Esprit saint : Le figuier ne fleurira plus, et les vignes ne pousseront plus; l’olivier trompera l’attente et ne donnera plus d’olives, et les campagnes ne porteront plus de grain pour la nourriture de l’homme; les brebis seront enlevées des bergeries, et il aura plus de bœufs dans les étables; mais moi je me réjouirai dans le Seigneur; je tressauterai de joie en Dieu, mon Sauveur. Non, le fidèle serviteur de Dieu, appuyé sur le solide fondement de la foi et de l’espérance, ne saurait être abattu par les adversités inséparables de la condition humaine. Que ses vignes et ses oliviers trompent son espoir, que ses champs frappés de stérilité ne lui laissent de perspective que l’indigence : qu’est-ce que cela fait au chrétien qui voit sa place dans un paradis où l’attendent tous les trésors de la grâce et les biens ineffables du royaume céleste? Rien n’altère la sainte joie dont le pénètrent ses intimes communications avec le Dieu qu’il adore; et la contemplation des béatitudes qui lui sont promises le remplit d’un courage qui l’élève au-dessus de toutes les disgrâces du siècle. Nous savons que purifiés du limon d’une naissance terrestre par le baptême qui nous a régénérés dans l’Esprit saint, morts au monde et ne vivant désormais que pour Dieu, ce n’est qu’après nous être réunis à Dieu que nous serons mis en possession des biens éternels auxquels nous aspirons. Jusque-là, faut-il conjurer l’invasion étrangère, obtenir les eaux du ciel dans les temps de stérilité, écarter ou diminuer les fléaux qui pèsent sur l’Empire? nous prions, nous implorons la miséricorde divine, jour et nuit nous supplions au pied de nos autels pour votre salut, nous intercédons pour la paix publique, pour votre salut auprès de la justice du ciel. XXI. Bannissez donc de vos esprits la prévention qu’il n’y ait pas de différence entre nous chrétiens, et vous ennemis déclarés de notre Dieu; et de ce que nous ne sommes pas plus exempts que vous des maux qui font le commun apanage de l’humanité, n’allez pas en conclure que vous n’êtes pour rien dans les causes qui les amènent. Dieu lui-même vous répond par ses oracles sacrés, où il est prédit que sa colère viendra s’appesantir sur les oppresseurs de la vérité, et que si nous ne devons pas rester sur cette terre sans persécutions, nous ne resterons pas non plus sans vengeance. XXII. Lui-même il s’est engagé à nous défendre; et combien, dès le temps présent, de témoignages éclatants de sa colère vengeresse, sans parler de ce jour terrible du dernier jugement, que la sainte Ecriture vous dénonce par ces termes Poussez des cris et des hurlements, parce que le jour du Seigneur est proche ; jour sans pardon et sans miséricorde où le Tout-Puissant viendra pour tout perdre. Et encore : Voici le jour du Seigneur qui va venir; jour cruel, plein d’indignation et de fureur, qui vient comme une fournaise ardente, et tous les étrangers et les méchants seront consumés comme une paille, dit le Seigneur. Ce qu’il appelle les étrangers, ce sont ceux qui n’ayant pas été régénérés par la naissance spirituelle qui fait les enfants de Dieu, sont en dehors de sa famille; ceux-là seuls pouvant échapper à la divine colère, qui auront été marqués du sceau de Jésus-Christ reçu au baptême. Un autre prophète nous fait une description plus énergique encore de ce jour terrible où le Seigneur enverra ses anges pour ravager l’univers et faire périr le genre humain tout entier, en leur disant Allez, massacrez, n’épargnez personne; tuez tout sans qu’aucun n’échappe, vieillards, jeunes hommes, vierges, femmes et enfants mais ne touchez à pas un de ceux qui seront marqués du signe. Quel est donc ce signe? dans quelle partie du corps est-il imprimé? Le Seigneur l’avait indiqué déjà : Passez, avait-il dit à ce prophète, au travers de la ville, au milieu de Jérusalem, et marquez «n tau sur le front des hommes qui gémissent et qui sont dans la douleur de voir toutes les abominations qui se font au milieu d’elle. Le Seigneur nous témoigne encore que ce signe appartient à la Passion et au sang de Jésus-Christ, et que quiconque s’en trouvera marqué sera sauvé. Ce sang, dont sera marquée chaque maison où vous demeurerez, dit-il au livre de l’Exode, servira de signe en votre faveur. Je verrai ce sang, et je passerai vos maisons, et la plaie de mort ne vous touchera point lorsque je frapperai toute l’Egypte. Ce dont l’agneau pascal avait été la figure s’est accompli à la lettre dans la personne de Jésus-Christ. Le peuple juif ne put être sauvé de la plaie dont l’Egypte fut frappée que par le sang et le signe de l’agneau; ainsi, au moment de cette effroyable dévastation de tout l’univers, il n’y aura de sauvés que ceux où l’on reconnaîtra le sang et le signe de Jésus-Christ. XXIII. Pensez donc à vous sauver, tandis qu’il en est temps encore; et puisque la fin du monde approche, commencez à craindre le Seigneur et convertissez-vous à lui. Ne vous abusez pas sur cette vaine domination que vous exercez dans le siècle sur les hommes vertueux qui se courbent sous votre joug sans se plaindre. L’ivraie et les mauvaises herbes dominent aussi dans nos campagnes au milieu des blés les plus fertiles. Cessez de dire que les calamités dont vous gémissez viennent de ce que nous n’adorons point vos dieux; apprenez plutôt que ce sont les effets de la juste colère de notre Dieu. Parce que vous refusez de le reconnaître dans ses bienfaits, il veut vous contraindre à le reconnaître dans ses vengeances. Commencez, quoique bien tard, à le chercher; lui-même vous y exhorte par ces paroles de son prophète: Cherchez Dieu, et votre âme vivra. Apprenez enfin à connaître Jésus-Christ; de sa bouche sacrée est sorti cet oracle : La vie éternelle consiste à vous reconnaître pour le seul Dieu véritable, Seigneur, et avec vous Jésus-Christ que vous avez envoyé. Croyez à son infaillible parole; croyez à la vérité de ses prédictions, dont vous voyez l’accomplissement; croyez à ce Dieu qui récompensera par une éternité de bonheur la foi de ses adorateurs, et châtiera l’incrédulité par une éternité de supplices. XXIV. A ce jour terrible, quel triomphe pour la foi chrétienne! quel supplice pour l’infidélité d’avoir refusé de croire quand il en était temps, et de ne commencer à croire que quand il n’y a plus d’espérance de revenir en arrière! Supplice éternel, châtiment inépuisable, une flamme toujours dévorante s’acharne sur ses victimes qu’elle poursuit, qu’elle pénètre sans jamais se consumer. Pas un moment de trêve ni de relâche. Combien nous serons consolés de nos tribulations passagères, en les voyant à notre tour, durant l’éternité tout entière, punis par la vengeance céleste, ces cruels persécuteurs qui dédaignaient d’abaisser sur nous un regard de pitié durant les jours de notre pèlerinage sur la terre; quand, déchirés par le ver qui ne meurt pas et par les feux qui ne s’éteindront jamais, au sein des plus affreuses angoisses, accablés par la honte et par le désespoir, en présence des justes couronnés et triomphant de ceux qui les opprimèrent autrefois, et qui leur ravissaient le prix de leurs labeurs, ils s’écrieront en gémissant : Les voilà ces hommes pour qui nous n’avions que d’insolents mépris: ils nous semblaient être des insensés; C’étaient nous, nous seuls qui l’étions. Quelle différence ! les voilà ces vrais enfants de Dieu, réunis à la famille du Père céleste, associés à son immortelle félicité. Egarés que nous sommes tous des voies de la vérité nous fermions les yeux à la lumière de la justice, et nous sommes plongés pour toujours dans ces affreuses ténèbres. Triste dénouement de votre orgueil et d’une fastueuse opulence qui s’est dissipée comme l’ombre ! Repentirs stériles, souffrances cuisantes, pleurs et désespoir sans fin, prières jamais exaucées! XXV. Trop tard, hélas! ils seront bien obligés de croire à des tourments éternels, ces hommes qui n’auront pas voulu croire à d’éternelles récompenses. Tandis qu’il en est temps encore, mettez donc et votre vie et votre salut en sûreté. Nous vous offrons en ce moment et nos sentiments et nos conseils paternels dans la vue de votre salut; et parce qu’il ne nous est pas permis de haïr, et que jamais nous ne sommes plus agréables à Dieu que quand nous souffrons patiemment les injures sans chercher à nous en venger, nous vous y exhortons de tout notre cœur. Tandis que vous le pouvez encore, qu’il vous reste encore à parcourir, quelque partie de votre carrière mortelle, hâtez-vous de satisfaire à Dieu; sortez des ténèbres épaisses de la superstition, et ouvrez les yeux à la brillante lumière de notre religion sainte. Bien loin d’envier vos avantages, de réserver pour nous seuls la connaissance des bienfaits de Dieu, nous cherchons à les répandre; nous n’opposons à votre haine que la charité, et pour les tourments, les supplices que vous nous faites endurer, nous vous montrons le chemin qui mène à la vie et au bonheur. Croyez et vivez, et après nous avoir tourmentés dans le temps, venez vous enivrer avec nous pendant l’éternité des joies célestes. Après cette vie, plus de pénitence, plus de satisfaction efficace; c’est uniquement ici-bas que la vie ou se perd ou se conserve, ici-bas que l’on se sauve par la foi et par la piété. Que personne ne se laisse arrêter par la considération du nombre et de l’énormité de ses fautes; que personne ne désespère de son salut tant que l’homme est sur la terre, il lui reste encore le temps du repentir; les chemins de la miséricorde divine lui restent toujours ouverts, et il n’en coûte pas beaucoup pour chercher et pour découvrir la vérité. Bien que vous touchiez de près au terme de votre vie mortelle, demandez au seul Dieu véritable le pardon de vos péchés, implorez sa miséricorde, professez son culte: vous êtes assuré d’en obtenir grâce, et la mort ne sera pour vous qu’un passage à l’immortalité. Tel est le bienfait que vous obtiendrez de Jésus-Christ; tel est le glorieux privilège qu’il nous a mérité par la victoire de sa croix sur la mort. Son sang versé pour nous nous a rachetés; il a réconcilié l’homme avec Dieu son Père; il nous a donné la vie en imprimant sur notre chair mortelle le sceau de la céleste régénération. Marchons tous, s’il est possible, sous cette bannière sacrée; elle est pour nous le chemin de la vie, elle nous montre la route qui mène au paradis, au royaume des cieux. Devenus par elle les enfants de Dieu, nous vivrons à jamais avec lui; renouvelés par le sang du divin Rédempteur, nous triompherons à jamais avec lui, dans la compagnie de Jésus-Christ, associés à sa gloire, à ses immortelles félicités, faisant retentir à jamais le cantique d’actions de grâces. Peut-on n’être pas heureux, peut-on n’être pas à jamais reconnaissant, lorsque de la mort l’on passe à l’assurance de l’immortalité? |
[1] Gouverneur d’Afrique selon Tillemont (Mém., tom. iv, pag. 128). D’autres lui donnent la qualité de proconsul; Fell la lui conteste. (Notae in Cyprian., p. 129.) Mais qu’importe? Ses fonctions ou son crédit lui donnaient assez de puissance pour persécuter les chrétiens avec acharnement. Il accusait les chrétiens d’être cause de tous les fléaux qui désolaient l’Empire. Saint Cyprien lui adresse à lui-même sa réponse. Lactance et saint Jérôme parlent de ce traité. [2] Lactance et saint Jérôme reprochent saint Cyprien d’avoir objecté l’ennemi du christianisme des autorités empruntées à nos livres saints qu’il ne connaissait point. Ils regrettent qu’il ne l’ait pas combattu par le seul raisonnement. On répond qu’outre que Démétrien n’était pas tout à fait étranger au langage de la religion dont les oracles lui avaient été souvent indiqués par le saint évêque, dans ses conférences antérieures avec lui, saint Augustin, qui savait bien de quelle manière il fallait traiter avec les païens, n’en use pas autrement que saint Cyprien, et ne fait point difficulté d’alléguer contre eux des passages de l’Ancien Testament: « Et vous païens, dit-il, écoutez-moi; écoutez ce que dit le prophète. Ce n’est pas moi qui ai écrit ceci, le livre où on le lit se trouve dans les archives des Juifs. Mon ennemi me sert de témoin; demandez-le-lui; ouvrez et croyez. » (De cinq. haeres., c. 7.) Puis il rapporte des textes de l’Ancien et du Nouveau Testament. Ailleurs : « C’est, dit encore ce saint docteur, une folie ridicule de prétendre que les prophètes des Hébreux ne sont pas propres à convaincre les païens, puisqu’il est de notoriété publique que c’est par ces prophètes qu’un si grand nombre de païens a été converti. » (Contr. Faust. Manich., lib. xiii, c. I.) [3] Voir à ce sujet l’ouvrage de Lactance, sous le titre de la Mort des persécuteurs (Bibliothèque choisie des Pères, t. iii, pag. 482); et Orose, au liv. vii de son Histoire, ch. 31. Sur les révolutions qui agitèrent l’Empire à cette époque, consultez Tillemont, Hist. des empereurs, tom. iii.
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